Picsou Rejoue les Classiques de la Littérature
Les Misérables & Hamlet

Éditeur :
Unique Heritage Entertainment
Date de publication France :
Le 08 novembre 2022
Collection :
Collection Deluxe
Auteur(s) :
Gian Giacomo Dalmasso (Scénario)
Giovan Battista Carpi (Scénario et Dessin)
Nombre de pages :
198

Le sommaire

Les Dossiers :

  • Giovan Battista Carpi, maestro !
  • Des Misérables aux chandeliers
  • Les Misérables, monument français
  • Le Hamlet dont on rêvait ?
  • Être ou ne pas être Hamlet

Les Histoires :

  • Donhamlet, Prince du Canemark (1960)
  • Le Mystère des Chandeliers (1989)

La critique

rédigée par
Publiée le 15 décembre 2023

Jamais en reste lorsqu'il s'agit de détourner l'actualité, la science ou encore les grands événements historiques, les nombreux auteurs de bandes dessinées Disney ont également fait de la parodie des classiques littéraires l'une de leurs spécialités. C'est donc tout naturellement qu'Unique Heritage Media se penche sur le travail d'un spécialiste en la matière, Giovan Battista Carpi, dans ce premier volume de la Collection Deluxe, une publication qui fait le vœu d'offrir un bel écrin au meilleur de la bande dessinée Disney. Pour l'occasion, l'éditeur ressort du coffre-fort deux histoires rares dans l'Hexagone, parodiant respectivement Les Misérables (1862) de Victor Hugo et La Tragique Histoire d'Hamlet, Prince du Danemark (1603) de William Shakespeare.

Né le 16 novembre 1927 à Gênes, dans la région italienne de la Ligurie, Giovan Battista Carpi se forme d'abord aux Beaux-Arts avant de se tourner vers la bande dessinée. En 1945, il rejoint ainsi l'hebdomadaire Faville ; il en imagine le logo et crée pour le journal la petite BD La Famille Serafini. Touche-à-tout, l'artiste travaille ensuite pour diverses publications et trempe même brièvement un orteil dans le monde de l'animation. En 1953, Carpi rejoint les équipes de Topolino, la grande revue Disney italienne. Là, il crée sa première histoire, Donald et son Fantôme, avec Giulio Chierchini sur un scénario de Guido Martina. Assez vite, l'artiste se fera une spécialité des récits parodiques ; outre les réécritures d'Hamlet et des (Les) Misérables, Carpi invitera les personnages Disney dans les univers du (Le) Comte de Monte-Cristo (1844-1846), Guerre et Paix (1865-1869), Le Tour du Monde en Quatre-Vingts Jours (1872), La Métamorphose (1915) ou encore Autant en Emporte le Vent (1936), pour ne citer que ceux-là. Célèbre pour ces détournements, le génie des bulles a aussi marqué l'histoire de la BD Disney par une autre de ses co-créations : le génial Fantomiald ! Aux côtés d'Elisa Penna et de Guido Martina en 1969, il donne naissance au Canard masqué dans Donald... Ou comment Devenir Fantomiald ! ou Le Vengeur Diabolique !, suivant les éditions. En 1988, Carpi fonde l'Académie Disney, le prestigieux institut destiné à former la nouvelle génération de l'école italienne. Il s'éteint le 8 mars 1999 à Gênes, après avoir offert au lectorat plus de 400 histoires.

Les Italiens ont toujours su embrasser pleinement le côté loufoque et ludique de ces récits parodiant les classiques de la littérature. Régulièrement reproposées sur les étals transalpins, ces histoires ont même eu droit à plusieurs collections successives dans de belles éditions ; plus d'une centaine de BD sont ainsi rassemblées dans Classici della Letteratura et Capolavori della Letteratura. En France, les BD se sont trouvées égrainées dans différentes parutions en presse mais, il faut bien le dire, le public français n'a été que peu gâté. Quelques rares histoires ont bien été publiées à plusieurs reprises, comme Contre le Diabolique Docteur Faust (1958, Luciano Bottaro et Carlo Chendi) ou Donald Fracasse (1967, Romano Scarpa, Guido Martina et Giorgio Cavazzano), mais l'écrasante majorité des récits parodiques reste aujourd'hui à peu près introuvable sans écumer les brocantes, sans même parler de la pelleté de BD jamais traduites. Souvent malmenées par les vieilles éditions françaises avec des versions remontées ou raccourcies, seules quelques histoires récentes, comme Duckenstein (2016, Bruno Enna et Fabio Celoni), ont reçu les honneurs d'une parution en librairie chez Glénat après leur passage dans Le Journal de Mickey et autre Super Picsou Géant.

Avec ce premier volume de la Collection Deluxe, Unique Heritage Media entend donc faire plaisir aux lecteurs français. Le Mystère des Chandeliers, la longue histoire qui ouvre ce recueil, fait, il est vrai, partie de ces œuvres un peu abîmées lors de leur parution française originale. D'abord proposée dans une vision remontée et découpée pour tenir sur un format de 53 pages chez Dargaud dans la collection Disney Aventure en 1991, elle a ensuite droit à une reparution de 62 pages dans Super Picsou Géant n°101 en 2003. Il faudra donc attendre 2023 pour la voir enfin retrouver, en France, son format à l'Italienne et ses 106 pages de récit.
Dans Le Mystère des Chandeliers, Carpi, qui assure tout à la fois le scénario et le dessin de ce récit en trois parties, s'inspire de l'un des plus célèbres romans de la littérature française : Les Misérables.

Très excités à l'idée de regarder une adaptation des (Les) Misérables à la télévision, Riri, Fifi et Loulou sont anéantis quand ils se rendent compte que le téléviseur est en panne. Entre deux crises de larmes, Oncle Picsou débarque pour se cacher ; poursuivi par un agent du fisc qui veut lui imposer une surtaxe annuelle de cinq dollars, le vieux grippe-sou est lui aussi au bord de la crise de nerf. Au détour de la conversation, Picsou révèle que son ancêtre n'était autre que le célèbre Jean Valsou dont les mésaventures ont inspiré à Victor Hugo son roman !
Par cet ingénieux procédé narratif, Carpi se débarrasse du besoin de coller de trop près à l'histoire originale ; celui qui a travesti la réalité, c'est Victor Hugo, pas lui ! Picsou commence donc à raconter aux enfants la vie de son ancêtre dont le début reprend (en accéléré évidemment) les grandes lignes du chef-d'œuvre hugolien. Ancien détenu échappé du bagne, Jean Valsou trouve un peu de compassion auprès de Myriel quand le reste du monde lui tourne le dos. Après s'être vu offrir deux magnifiques chandeliers en argent, Valsou jure de devenir un honnête homme.

Par un concours de circonstances, Jean Valsou arrache ensuite la pauvre Cosette aux griffes des cruels Thénardier (incarnés ici par Pat Hibulaire et Gertrude), et les voilà en route pour Paris. Forcément, pour résumer un tel colosse de la littérature, Carpi a dû faire des choix. Ainsi, Marius Pontmercy (Donald) et son idylle avec Cosette, Gavroche et les gamins de Paris (Riri, Fifi et Loulou) qui vivent au rythme de la ville ou encore l'implacable Javert (Yanez), qui poursuit Valsou pendant toute l'histoire, sont bel et bien présents dans la BD, mais d'autres personnages comme Éponine et Fantine ont disparu, de même que le contexte d'une Paris révolutionnaire en pleine ébullition dans la première moitié du XIXe siècle. Il faut dire qu'assez rapidement, Carpi va s'écarter du chemin tracé par Hugo pour achever son histoire par une aventure des plus rocambolesques !

Dans sa BD, l'artiste a choisi d'accorder une place déterminante à deux objets qui avaient, chez Hugo, une fonction symbolique : les fameux chandeliers. De simples trésors incarnant la droiture retrouvée de Jean Valjean, ils deviennent sous la plume de Carpi la clé d'un pactole enfoui sous la ville de Paris ! Bourrée de péripéties et de retournements de situation, l'histoire est sans doute l'une des parodies les plus réussies dans la longue série des réécritures en BD Disney. Pour ne rien gâcher, le trait assuré de Carpi accompagne parfaitement le récit. Ses personnages évoluent dans des décors soignés, des hauteurs de Paris en passant par les tréfonds sales de la ville et l'atmosphère oppressante de la forêt de Montfermeil, le travail de l'artiste méritait vraiment d'être redécouvert par le public français.

Beaucoup plus classique mais tout aussi efficace, Donhamlet, Prince du Canemark complète ce premier volume de la Collection Deluxe. Publiée pour la dernière fois en France dans Mickey Parade n°13 (1981) sous le titre Donald, Roi du Donmark, le récit est cette fois-ci issu d'une collaboration entre Carpi, qui assure la partie graphique, et Gian Giacomo Dalmasso au scénario. Contrairement à Picsou qui prétendait raconter la véritable histoire des (Les) Misérables dans Le Mystère des Chandeliers, ici, l'essentiel de la narration se déroule dans l'esprit d'un Donald bien mal en point.
Avec deux semaines de retard, Riri, Fifi et Loulou apportent à leur oncle râleur une lettre des impôts ; le Canard marin se pose donc la question : « Combler l'appétit du fisc ou quitter discrètement le pays... Tel est le problème » ! Perdu dans ses pensées alors qu'il fait les cent pas, le pauvre Donald trébuche et se blesse à la tête. Alité et poussé par ses neveux, le Canard se repose en découvrant l'histoire d'Hamlet mais, gagné par le sommeil au milieu de sa lecture, il va imaginer la fin de la pièce entre deux rêves enfiévrés.

Le récit trouve donc une ingénieuse façon de réinterpréter l'histoire originale à la sauce des Canards. Devenu Donhamlet au pays des songes, Donald va traverser les grands moments de la pièce de Shakespeare, évitant au passage les retournements dramatiques pour se concentrer sur le dilemme qui le ronge : rester et accepter ses responsabilités ou fuir le pays. Vaniteux mais hésitant à monter sur le trône depuis la mort du roi Canarold VII, Donhamlet ne sait quoi faire de ses plumes. S'il accepte la couronne, il devra également partager la table de Pat Fortinbulaire, le Roi de Crapulie ; or, c'est précisément lors de l'un de ces banquets trop copieux que le dernier suzerain a été emporté par une terrible indigestion !

Toute l'histoire repose donc sur les nombreux questionnements qui paralysent le prince héritier, autant de cruels dilemmes qui hantent eux aussi l'esprit du misérable Donald dans le monde réel. Pourra-t-il se dresser contre le Comte Picsounius et son cousin Gontranius ? Aura-t-il le courage d'affronter le terrible défi culinaire de Pat et demandera-t-il enfin la main de la belle Daisylie ? Comme dans Le Mystère des Chandeliers, le sel de l'histoire réside dans les nombreux ajouts humoristiques que les artistes lient élégamment à la trame du drame shakespearien. Et puisqu'il n'était pas question de faire mourir les personnages les uns après les autres - BD Disney oblige -, Dalmasso imagine à la place une histoire fantasque dans laquelle Donald pourrait pour une fois tenir le beau rôle et triompher de ses éternels bourreaux.
Moins audacieuse graphiquement que Le Mystère des Chandeliers - publiée trente ans plus tard ! -, Donhamlet, Prince du Canemark fait la part belle à ses personnages dessinés dans un style classique, certes, mais dynamique et toujours remarquable de fidélité.

La belle édition proposée par Unique Heritage Media fait dans tous les cas honneur à ces deux pépites ressorties des archives. Publié au format « mook » avec une couverture à rabats embossée et vernie, ce premier volume de la Collection Deluxe s'adresse peut-être moins à un jeune public qu'aux lecteurs plus âgés qui apprécient les jolis livres à collectionner. Pourvu d'un petit appareil critique permettant de resituer les deux œuvres parodiées et de s'approprier quelques clés de lecture, ce beau volume est en revanche pénalisé par un défaut d'impression : le dernier dossier, « Être ou ne pas être Hamlet » manque en effet à l'appel ! Les lecteurs désireux de se plonger dans la lecture de ces quelques pages devront dès lors les télécharger sur le site de l'éditeur.

Joli début de collection, le premier volume de cette Collection Deluxe permet aux lecteurs de (re)découvrir dans l'Hexagone deux belles relectures d'œuvres classiques bourrées d'humour. De là à rêver à terme d'une intégrale des parodies à la sauce Carpi, il n'y a qu'un pas...

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